Limiter les poursuites liées au VIH : Beaux discours, peu d’action

le 5 novembre, 2018

Il est plus que temps que le gouvernement fédéral passe aux actes.

En 2016, lors de la Journée mondiale du sida, la ministre de la Justice a affirmé que le Canada devait voir à la « criminalisation disproportionnée de la non-divulgation de la séropositivité » qui contribue à la stigmatisation associée au VIH et qui nuit à la santé publique. La ministre s’était également engagée à travailler à cet enjeu avec les gouvernements des provinces, les communautés affectées ainsi que les professionnels de la santé.

C’était la première fois qu’un gouvernement, au Canada, reconnaissait les préjudices causés par la criminalisation du VIH et exprimait un engagement à l’action; nous avons salué cette déclaration.

Un an plus tard, Journée mondiale du sida de 2017, la ministre de la Justice a publié le rapport Réponse du système de justice pénale à la non-divulgation de la séropositivité, qui est un écho à plusieurs des préoccupations que nous avons maintes fois signalées dans les médias, devant les tribunaux ainsi qu’aux responsables des politiques. Ce rapport suggère de manière explicite d’adresser certaines indications aux procureurs, entre autres moyens de limiter la criminalisation du VIH. On y mentionne également la possibilité de réformes du Code criminel comme étant une autre possibilité.

Le Gouvernement du Canada avait l’air d’être à l’écoute du Réseau juridique, de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH (CCRCV) ainsi que de notre Déclaration de consensus communautaire concernant la nécessité de cesser les poursuites injustes liées au VIH – un appel à l’action qui a reçu l’appui de plus de 160 organismes de partout au pays.

Depuis la parution du rapport de Justice Canada, nous avons rencontré à maintes reprises des représentants du bureau de la ministre ainsi que de Justice Canada, les incitant à passer aux actes pour appliquer leurs propres recommandations. Nous les avons mis au courant de développements pertinents, comme la Déclaration de consensus d’experts sur la connaissance scientifique relative au VIH dans le contexte du droit pénal, qui a été publiée en juillet, lors de SIDA 2018. À ce congrès, d’ailleurs, la ministre de la Santé du Canada a réitéré la préoccupation du gouvernement fédéral devant la criminalisation du VIH et la stigmatisation qu’elle engendre.

Des discussions continues indiquaient que la ministre de la Justice était intéressée par le développement de directives à l’intention des procureurs fédéraux; il s’agit d’une mesure qui peut être prise de manière raisonnablement rapide et qui est d’ailleurs un élément nécessaire de l’ensemble de la solution. (Des modifications au Code criminel sont également nécessaires, mais la rédaction des amendements appropriés et leur adoption au parlement sont une démarche qui nécessite plus de temps.)

Or, à ce jour, à l’approche de la Journée mondiale du sida de 2018, presque un an après la sortie du rapport du ministère de la Justice, le gouvernement fédéral n’a encore pris aucun engagement. Et, l’an prochain, auront lieu des élections fédérales et possiblement un changement de gouvernement.

Il reste du temps à la ministre pour travailler avec la communauté du VIH et les experts scientifiques afin de développer des lignes directrices pour refléter les recommandations établies dans le rapport de son propre ministère.

Mais le temps file.

Après plusieurs mois au cours desquels nous avons eu des réunions et des discussions, nous avons adressé une lettre ouverte à la ministre fédérale de la Justice, pour lui demander de s’occuper du problème des poursuites criminelles injustes contre les personnes vivant avec le VIH. Ceci doit être fait sans plus tarder.

Puisque la plupart des poursuites relatives au VIH sont l’affaire des procureurs des gouvernements provinciaux, le Réseau juridique et d’autres partenaires de la CCRCV se sont adressés également aux procureurs généraux des provinces et à d’autres représentants gouvernementaux :

 

  • Nous avons fait parvenir à tous les procureurs généraux la déclaration internationale de consensus d’experts, et nous avons demandé à les rencontrer pour discuter de la nécessité d’adresser aux procureurs des lignes directrices fondées sur les connaissances scientifiques.
  • Deux provinces, l’Ontario et l’Alberta, ont à présent confirmé qu’elles n’allaient plus intenter de poursuites pour des allégations de non-divulgation du VIH dans des cas où la personne vivant avec le VIH a une charge virale supprimée (c.-à-d. inférieure à 200 copies/ml) depuis au moins six mois. Il s’agit d’un progrès, mais d’autres progrès considérables sont nécessaires afin de limiter les poursuites dans plusieurs autres circonstances.
  • Les discussions se poursuivent avec les ministres de la Santé et de la Justice du Québec, mais ceux-ci n’ont pris aucun engagement – et nous ne savons pas encore si le récent changement de gouvernement aura des répercussions sur cette possibilité de progrès concernant des lignes directrices en matière de poursuites.
  • En Colombie-Britannique, des développements semblent indiquer que des poursuites contre une personne dont la charge virale est supprimée sont peu probables. Plus tôt cette année, cependant, le BC Prosecution Service a adopté une politique qui ne signale même pas cela clairement. En avril, le procureur général de la province a déclaré publiquement sa préoccupation à l’égard de l’application excessivement large du droit criminel – donc nous continuerons d’insister auprès de lui afin qu’il adresse aux procureurs une directive claire qui limitera les poursuites injustes.

 

La Journée mondiale du sida de 2018 approche à grands pas, et nous continuerons de mobiliser la communauté, ces prochaines semaines, pour demander au gouvernement fédéral et à ceux des provinces des actions pour mettre fin aux poursuites injustes qui ont encore cours.

Solidairement,

Le Réseau juridique